(21 novembre 2011)
Le Japon est un archipel formé d’un chapelet d’îles quasi jointives. La plus importante est l’île centrale, Honshu, prolongée au N par celle d’Hokkaido et, au S, par celle de Kyushu (fig.1). On peut résumer sa structure géologique en disant qu’il s’agit d’un arc insulaire volcanique(1), édifié sur un socle ancien de type asiatique, détaché de son continent originel.
L’arc insulaire japonais est comparable à tous ceux qui bordent, comme eux, le pacifique W dont le schéma qui suit rappelle les principaux éléments structuraux :
Il est, par ailleurs construit sur un substratum granito-gneissique analogue à celui de la côte asiatique mais qui en est séparé par la mer du Japon (fig. 1), exemple typique de « mer marginale ». Ces structures résultent d’une distension extrême du bassin arrière-arc aboutissant à l’étirement et même à la déchirure de la croûte continentale sous-jacente. Le manteau, mis à nu, se soulève et « secrète » une jeune croûte océanique, faite de la trilogie classique : péridotites, gabbros et basalte. La mer marginale du Japon contient même un fragment isolé de croûte continentale, témoin de la liaison primitive qui existait entre le socle japonais et celui de la côte asiatique, le haut-fond de Yamato.
La géologie du Japon est compliquée par le fait qu’il se trouve au carrefour de quatre plaques, asiatique, pacifique, Philippines et celle, supposée, d’Okhotsk (fig. 1), celle des Philippines expliquant la présence de deux arcs volcaniques dans sa partie sud, contre un seul dans la partie nord..
L’arc du nord dessine deux inflexions (fig. 1). Du N au S, celle des îles Kouriles et de Hokkaido E, puis celle de Honshu E (qui aboutit à Tokyo). Au-delà de Tokyo, on trouve deux arcs ceinturant la plaque Philippines : à l’Est, celle des îles Bonin, qui part de la péninsule d’Izu, près de Tokyo et que l’on appelle donc généralement arc d’Izu-Bonin ; à l’W, l’arc de Honshu et des îles Ryu-Kyu.
Ces trois arcs, volcaniquement et sismiquement actifs sont liés des fosses de subduction à vergence W : au N, la fosse du Japon au niveau de laquelle le Pacifique s’enfonce vers l’W, en subduction, sous le Japon (en fait, sous la côte asiatique dont le Japon n’est qu’un morceau détaché). Elle se prolonge par celle d’Izu-Bonin mais qui plonge, quant à elle, sous la plaque océanique des Philippines de l’autre côté de laquelle vient la fosse de Ryu-Kyu, au pied de l’arc de même nom qui est donc un arc intraocéanique.
Tous ces arcs japonais montrent la zonation magmatique caractéristique des marges actives, à savoir que les volcans les plus proches de la zone de subduction, donc les plus récents, donnent des basaltes tholéitiques (c’est le cas du Fuji Yama(2)), puis, vers l’W, viennent des volcans calco-alcalins (andésitiques) (fig. 2).
Fig. 1 |
Fig. 2 |
On peut ainsi orienter le phénomène subductif (enfoncement vers l’W), qui s’accorde aussi avec la répartition des séismes dont les foyers sont de plus en plus profonds d’E en W.
Ce volcanisme provient de la fusion des péridotites du manteau de la plaque asiatique, au dessus du plan de subduction, fusion qui commence à une centaine de km de profondeur (facilitée par l’eau qui se dégage alors de la croûte sous-océanique subduite, surchauffée et comprimée). Les magmas qui résultent de cette fusion montent vers la surface soit directement, soit après stockage dans des chambres volcaniques. De toute façon, quand le plan de subduction est encore peu enfoncé (80 à 100 km), les parties les plus fusibles arrivent en surface (tholéites). Quand la profondeur du plan de subduction augmente (80 à 150 km), le magma obtenu a une constitution différente (magmas calco-alcalins : andésites surtout). Au-delà encore, il n’a plus que des basaltes alcalins, pas forcément liés au plan de subduction.Le caractère de l’éruption (donc la forme du volcan) varie suivant divers facteurs : pression, température, teneur en eau et surtout en gaz. Au Japon, comme dans tous les arcs insulaires, les éruptions sont stromboliennes, vulcaniennes ou péléennes.
L’arc volcanique japonais ne s’accompagne pas d’un arc sédimentaire. Les sédiments océaniques sont donc tous absorbés dans les zones de subduction. Même les volcans tapissant le fond océanique peuvent être engloutis comme l’ont révélé les campagnes océanographiques effectuées au pied de l’arc des Kouriles-Hokkaido.
Entre les deux arcs volcaniques méridionaux, se trouve la partie sud de Honshu, orientée E-W, où affleure largement le socle ancien asiatique. Il y a quelques volcans, sur la côte nord, mais ce volcanisme n’est plus calco-alcalin. Ce sont des basaltes alcalins, ce qui est surprenant étant donné que Honshu sud se situe en bordure de la plaque océanique des Philippines. Pourquoi n’y a-t-il pas subduction de cette dernière sous Honshu ? La réponse est que la limite de plaque en question est une ancienne faille transformante crétacée, défigurée par les actions tectoniques récentes qui en ont fait une zone de collision entre Honshu et la plaque Philippines, avec amorce de subduction. Effectivement la fosse de Nankai, avec son remplissage sédimentaire, s’enfonce sous Honshu (ce que montrent quelques séismes), mais cette subduction embryonnaire n’a pas encore atteint les profondeurs déclenchant la montée des magmas calco-alcalins.
Fig. 3 |
(fig. 4) |
Le socle japonais montre des structures compliquées appartenant à plusieurs orogenèses successives. Mais elles n’affleurent dans de bonnes conditions qu’aux extrémités du Japon, c’est-à-dire dans Honshu SW et Hokkaido, bien qu’avec des caractères différents. Entre les deux, s’étend un bassin d’effondrement complexe dit fossa magna(3), constellé de petits volcans et rempli de molasses néogènes à très forte teneur en matériel volcanique, les « tufs verts » des géologues japonais.
Honshu SW.
Cette partie du Japon est constituée d’une série de lanières, à matériel d’âge décroissant du N au S, lanières séparées par des contacts anormaux verticaux, souvent à valeur de décrochements sénestres, récents (post-crétacé supérieur). Cette structure ne simplifie pas les reconstitutions paléogéographiques puisqu’elle juxtapose artificiellement des ensembles qui étaient peut-être très éloignés les uns des autres avant le coulissement.
La géologie de Honshu SW est également rendue difficile par les mauvaises conditions d’affleurement (végétation dense quasi tropicale), par le fait que les séries sont souvent plus ou moins métamorphiques et que leur matériel original est constitué de sédiments pélagiques,
voire océaniques, généralement siliceux (pélites, radiolarites), très monotones où seul le Permien est partout représenté par d’épais calcaires à fusulines faciles à reconnaître. Tous les autres terrains sont faiblement fossilifères : quelques lentilles calcaires à ammonites et inocérames, ainsi que des conodontes et des radiolaires dans les grès et pélites.
L’interprétation de Honshu SW est discutée car il existe un certain désaccord entre les géologues japonais et les géologues français qui y ont travaillé.
Les géologues japonais voient dans les lanières parallèles de Honshu autant d’arcs sédimentaires successifs venus s’accoler les uns après les autres au socle asiatique du N vers le S, du Jurassique au Tertiaire. Les anciens arcs volcaniques seraient déduits de la présence d’intrusions granodioritiques jurassiques et crétacées, seules conservées
Les géologues français pensent que le processus a été compliqué par l’existence, au sein des séries sédimentaires de Honshu SW d’un microcontinent, actuellement très dilacéré par coulissement et réduit à un chapelet d’écailles gneissiques étirées, de type asiatique (440-430 Ma). C’est la zone de Kurosegawa, qui séparedoncles séries du Nord de celles bordant le Pacifique.
Les premières sont dites zone interne, où les sédiments sont parfois métamorphisés, ophiolitifères et injectés de produits magmatiques calco-alcalins (ancien arc insulaire).
Les secondes sont dites zone externe, ni métamorphisée ni granitisée. Il n’y a pas non plus d’ophiolites. Ce serait un bassin de subsidence, reposant probablement sur un socle granito-gneissique (mais qui n’affleure nulle part). La signification de cette lanière continentale dilacérée est encore énigmatique.
Dans ce qui suit, nous adopterons l’interprétation française.
La zone interne est typiquement un arc insulaire de type péripacifique d’âge crétacé, tardivement écrasé et devenu un paquet d’écailles à vergence sud. Dans celles-ci, on retrouve en effet, du S au N, les trois ensembles caractéristiques d’un arc insulaire, à savoir :
- un arc sédimentaire, actuellement réduit à un paquet d’écailles à vergence sud, parfois ophiolitifères, donc édifié à la verticale d’une zone de subduction s’enfonçant vers le N, sous l’Asie. Les faciès dominants sont océaniques, avec des greywackes (sédiments volcano-détritiques). Pour les géologues japonais, ce sont les zones de Chichibù (non métamorphique) et de Sambagawa (métamorphisme de haute pression).
- un arc volcanique, lui même très écrasé (zone de Ryoke) : les sédiments contiennent du matériel volcanique calco-alcalin et sont traversés par d’importants massifs granodioritiques crétacés qui forment les « Alpes japonaises » culminant à plus de 3000 m.
- un bassin arrière-arc, lui-aussi très écrasé, à sédiments détritiques sans ophiolites (zone de Sangun des japonais). Ces sédiments reposent en discordance sur un substrat primaire et triasico-jurassique, la zone de Hida, en bordure de la mer du Japon. C’est un morceau de la côte asiatique, mais qui a l’intérêt de montrer des granites intrusifs d’âge jurassique qui doivent représenter les restes d’un vieil arc triasico-jurassique
Ainsi, l’arc insulaire crétacé, reprenant au N les restes d’un arc plus ancien, a-t-il été écrasé après le Crétacé entre une ancienne marge asiatique (Hida) et la lanière continentale supposée de Kurosegawa, peut-être originaire elle aussi de la côte asiatique dont elle aurait été séparée (lors de la dislocation de la Pangée ?).
L’écrasement tardif, néogène, de la zone interne s’est accompagné d’un mouvement de translation longitudinal traduit par de nombreux décrochements sénestres, notamment celle jalonnée des écailles gneissiques de la zone de Kurosegawa, ainsi que la « ligne tectonique médiane » des géologues japonais, qui se place entre Ryoke et Sambagawa(4).
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La zone externe, assez étroite, s’étend dans la région côtière sud de Honshu. Elle est séparée de la zone interne par la zone décrochante de Kurosegawa, et montre une série sédimentaire non métamorphique allant du Jurassique au Tertiaire, fortement écrasée et plissée, coupée de chevauchements.
Bien qu’il manque les traces d’un arc volcanique, les géologues japonais y voient un arc sédimentaire complexe, édifié en plusieurs étapes entre le Crétacé et l’Eocène. Les géologues français pensent plutôt à un simple bassin subsident sur socle continental mais un socle aminci et distendu car les sédiments y contiennent des produits volcaniques acides. Il n’y a jamais d’ophiolites. Il est possible que ce socle appartienne à une lanière continentale détachée de la côte asiatique et transportée vers le N par le jeu de l’expansion océanique, puis collée au bâti japonais, comme on l’observe de l’autre côté du Pacifique sur la côte ouest de l’Amérique du Nord.
Ces lanières baladeuses sont appelées « suspect terranes », ou simplement « terranes », par les géologues américains. Dans les années 70, en effet, l’attention des géologues américains a été en effet attirée par un certain nombre de blocs continentaux exotiques « collés » là aussi au continent N-américain le long de grandes failles de décrochement. La stratigraphie et le paléomagnétisme montrent que ces blocs n’ont rien de commun avec le continent et ont donc été transportés jusque là dans le cadre de l’expansion océanique.
L’exemple classique se trouve sur la côte de l’Alaska (voir figures dans l’annexe, p . 9): le massif du Mt Wrangell, l’île de la reine Charlotte et celle de Vancouver montrent la même géologie, fort différente de celle du continent. Le paléomagnétisme indique que cet ensemble dilacéré se trouvait jadis plus au sud.
Le phénomène est encore actuel pour la péninsule de Basse Californie qui se déplace vers le N le long de la faille de San Andreas, à une vitesse de 4 cm/an, si bien qu’elle sera elle aussi en face de l’Alaska dans 40 millions d’années.
Ce phénomène est lié aux modalités de l’expansion océanique pacifique, ici à vergence nord à NE, perturbée par de nombreuses failles transformantes.
Le Japon pourrait donc être aussi le siège de pareils phénomènes mais on n’a pas encore les données stratigraphiques et paléomagnétiques soutenant cette hypothèse.
Entre Honshu SW et Hokkaido vient un grand bassin de subsidence néogène (5000 m de sédiments), bassin dit « fossa magna » ou « des tufs vert » à cause de leur richesse en matériel volcanique détritique ou non, d’altération générale verdâtre. Des volcans andésitiques le parsèment, ainsi que des affleurements discontinus du substrat anté-miocène, de type Honshu. En fait, la « fossa magna » est bien plus qu’un simple bassin de subsidence, c’est un large couloir de décrochement grossièrement N-S, haché de failles coulissantes qui disloquent et dispersent les affleurements du substratum. La genèse de ce fossé miocène traduit une réorganisation de la disposition des plaques de la région, à savoir la plaque Pacifique, la plaque asiatique et celle des Philippines.
Deux affleurements isolés de socle ancien (Kitakami et Abukuma) posent problème. Ce sont peut-être, eux aussi, des « terranes » engagés et coincés dans le couloir en question.
Hokkaido
Comme pour Honshu, cette île représente un arc volcanique néogène-quaternaire superposé à des terrains non volcaniques plus anciens. Mais ceux-ci n’ont rien à voir avec ceux de Honshu. Ils appartiennent à un ensemble différent.
L’arc volcanique néogène-actuel. Les volcans les plus récents se trouvent sur la bordure orientale de l’île où ils sont alignés de façon spectaculaire (fig. 2). Mais il en existe aussi plus à l’W, dans la partie la plus large de l’île, notamment près de Saporo, le chef-lieu de l’île, siège des jeux olympiques d’hiver de 1972. Comme dans Honshu, ils sont associés à des « tufs verts » dont l’âge va du Miocène au Quaternaire.
Le substrat de l’arc volcanique. Il n’apparaît qu’à l’E de la région de Saporo, où il se dégage péniblement des produits volcaniques récents.
On y voit trois ensembles principaux :
- une importante cicatrice ophiolitique (zone de Kamuitokan) d’âge jurassique-supérieur à crétacé inférieur, datée par le métamorphisme de haute pression qui l’affecte. On peut la considérer comme une limite de plaque. Au Crétacé supérieur, la mer a pénétré à nouveau dans cette zone et y a déposé des calcaires à ammonites déroulées très curieuses (Nipponites).
- un bloc continental (bloc d’Hidaka) ou le socle ancien apparaît. Il est surmonté par des sédiments océaniques et détritiques crétacés appartenant à un ancien bassin de subsidence, très déformé, de la marge asiatique.
Comment interpréter cet ensemble d’Hokkaido ? Deux possiblilités :
Ou bien il représente la marge sud de la mer d’Okhokst qui se dilate vers le N en séparant l’île de Sakkaline des îles Kouriles (fig. 1). Il s’agit, soit d’une apophyse de la plaque N-américaine, soit d’une microplaque indépendante. De toute façon, Hokkaido, étant au carrefour de trois plaques, est un « point triple ».
Le problème est celui de la limite entre les plaques asiatique, d’Okhotsk et N-américaine (pas de zones sismiques, ce qui est étrange) (fig. 5).
Ou bien il s’agit d’un bloc exotique migrateur, venu du Sud, c’est-à-dire un « terrane ».
Fig. 5
En résumé, Si le déchiffrage du volcanisme japonais ne présente pas de difficultés car il est classique, étant celui de la « ceinture de feu » du Pacifique, la géologie de son substratum est difficile pour plusieurs raisons :
1. Par la jonction qui s’y fait entre trois plaques (eurasiatique, pacifique, Philippines) auxquelles s’ajoute la microplaque supposée d’ Okhokst, ce canevas générant deux points triples (Hokkaido et Izu). Or les rapports entre ces plaques varient dans le temps étant sous la dépendance des réorganisations laramienne (limite Secondaire-Tertiaire) et alpine (fin du Tertiaire-Quaternaire).
2. Par le fait qu’il s’agit d’un ensemble hétérogène de lanières d’origine asiatiques, représentant peut-être des blocs migrateurs éventuels, ultérieurement comprimés les uns contre les autres.
3. Sans parler des divergences entre les géologues français qui y travaillent et les géologues japonais.
Annexe : les « terranes » de la côte W de l’Amérique du Nord
(1) Le Japon compte 180 volcans éteints et 50 actifs
(2) Sa dernière éruption est de 1708.
(3) Ce nom latin peut surprendre en plein Japon. Il est dû au géologue allemand Naumann qui, en 1885, donna la première esquisse géologique du Japon
(4) C’est à dire à la limite sud de l’arc volcanique, zone fragile des arcs insulaires, le long de laquelle arc sédimentaire et arc volcanique se désolidarisent souvent.